Nous étions sur le chemin du retour. Les yeux encore pleins du bleu de la Rivière Celeste, celle dans laquelle Dieu aurait rincé ses pinceaux après avoir peint le ciel.
F. se concentrait sur la route et nous ballotait sur un chemin de terre. A l'arrière, les filles babillaient et riaient d'un rien. A chaque nid-de-poule. La fenêtre baissée, le bras enflant à mesure des piqûres de moustiques, me protégeant le visage avec l'appareil photo, je m'extasiais toute seule devant le paysage et visais un peu de tant de beauté.
Ce moment-là de bonheur tout simple, je ne l'ai pas laissé rejoindre les autres dans les étangs de l'oubli. Je l'ai saisi et je l'ai figé, juste avant qu'il ne s'enfuie dans le trou d'évier de ma mémoire.
Je l'ai rapporté à la maison et l'ai scotché au mur, juste en-dessous de mon chapeau.
Désormais, chaque fois que mon regard se pose sur la photo, j'ai l'odeur de poussière âcre dans les narines, j'entends les rires joyeux derrière moi, je vois le jour fuyant les cris de la nuit.
Et je me dis et me redis que toute la beauté de la vie est là.
Anne