Affichage des articles dont le libellé est Michelangelo Antonioni. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Michelangelo Antonioni. Afficher tous les articles

mercredi 12 novembre 2008

Identification d'une femme - Identificazione di une donna - Michelangelo Antonioni



Identification d'une femme est un film sublime de bout en bout, absolument inspiré, esthétique et plein de références picturales, ancré dans son époque (et discourant sur cette modernité - on pense aux années 80 vues par Pialat) et dans son pays (l'Italie et ses castes sociales, sa noblesse décadente, comploteuse et fuyante, rendue inaccessible par une invisibilité préservée -
"- Vous cherchez quelqu'un?
- Oui, mais je ne connais pas son nom.

- Alors pourquoi le cherchez vous?" dit la dame en fourrure en se précipitant dans une autre pièce), et aussi absolument érotique. Les scènes de sexe sont tout simplement les plus belles du monde, et les plus torrides. Parce qu'elles ne se contentent pas de montrer la mécanique du désir, mais aussi le désir lui-même, et sa nature, dévoratrice, pénétrante, voyeuse.
Le grand sujet du film, c'est la vision, et l'invisibilité (la scène dans le brouillard en est une parfaite illustration - il y a là une angoisse de la disparition : ne plus pouvoir voir l'autre, ne plus pouvoir le désirer; le vêtement aussi à son rôle, élément de fétichisme, comme chez Hitchcock).

C'est aussi un film sur la castration sociale: une petite caste malveillante empêche un réalisateur d'aimer une femme surgie de cette caste. Une femme, ou une idée. Lui, le bourgeois, le parvenu, n'a qu'à bien se tenir. Il n'est pas de ce monde - et c'est aussi la conscience qu'il a de ne pas faire partie de ce monde qui l'empêche de le faire venir à lui pleinement. Le réalisateur est en quête d'un film à faire. Mais aussi d'un amour. Il collectionne les visages de femmes qu'il affiche sur le miroir de son bureau. Il cherche une idée.

A mi-parcours, Identification d'une femme procède à une subtile interversion des rôles. Cette fois-ci, la femme est l'amoureuse, et l'homme est celui qui ne peut pas vraiment rester dans cette relation. Christine Boisson est superbe - cette fragilité d'un être qui se sent susceptible d'être à tout moment dépossédé de son amour, elle l'incarne à la perfection.

Le cri - Il griddo - Michelangelo Antonioni



Le cri est un film très pur, très triste, une sorte de bloc de tristesse, un caillou fataliste. On suit l'itinéraire d'un homme, chassé par son épouse, sur la route, le long du Po, conduisant sa fille, de petits boulots en petits boulots, de femme en femme, et toujours cette impossible consolation, cet apaisement qui ne vient jamais. Il a la rigueur des films muets, cette pureté, cet éclat - on pense à une sorte de Charlot massif, viril, mais tout aussi brisé, dévasté. Dans des paysages propices à la lamentation, des arbres alignés, coupés, des chemins boueux, des cabanes, des plaines brumeuses et désolées. Jusqu'à la crue. Quand le Po déborde, le coeur aussi. Il faut revenir, rebrousser chemin - c'est trop, l'homme en a trop vu, trop bavé. Le cri est un film panthéiste - le paysage est d'abord mental, d'abord le reflet d'une psyché.
Tous les personnages sont beaux - toutes les femmes (quatre portraits consécutifs) existent vraiment. Toutes révèlent une vie, une façon d'être au monde et d'aimer. La première, libre, combattant pour sa liberté, au point d'être dure. La seconde, celle qu'il aurait pu épouser, romantique, amoureuse, souffrante, mais refusant de trop souffrir - une travailleuse, qui épanche sa douleur dans l'action et la répétition. La troisième, la pompiste, virile, sévère, passionnée, qui va jusqu'à exclure son père de la maison, puis la fille de son amant - la seule trace qu'il lui reste de cet amour passé, auquel il avait cru, et qui l'a tant déçu. La dernière, décomplexée, frivole, d'une très grande beauté, matérialiste, assez joviale, qui danse, qui vole, qui se prostitue, mais toujours pour manger. Cette misère, Antonioni décide de la faire se soulever. Le bourg se révolte contre la confiscation des terres des paysans par l'état. Des policiers forment une ligne sur la route, empêchant la foule de passer. La foule les contourne, s'écarte simplement du chemin, et court vers les terres confisquées. L'intime est plus laborieux que le politique.

Chronique d'un amour - Cronaca di un amore - Michelangelo Antonioni

Chronique d'un amour est un film qui annonce l'oeuvre à venir d'Antonioni. Encore un peu trop engoncé à mon sens dans certains codes narratifs bourgeois, il est cependant formellement brillant, avec des plans très composés qui inscrivent déjà les acteurs dans un paysage qui n'est pas réaliste, mais plutôt mental ou métaphysique. Un paysage qui les hante, ou qui les écrase.
On retrouve le goût d'Antonioni pour la beauté des femmes. Il dresse, dans ce film, un portrait somptueux de Lucia Bosé, extrêmement complexe, riche. Dessinant des peurs, des névroses, des hantises, des paranoïas minuscules mais persistantes.

C'est un film plein de costumes, pas seulement pour faire beau, mais parce qu'il s'agit d'étoffe, du bruit qu'une robe fait en frôlant le sol, de la façon dont la fourrure cache et offre la femme qui la porte. Ecran et cadre à la fois. Distance et ligne de mire. Objectivation du désir.

L'idée de passage aussi a son importance. Les corps antonioniens laissent une trace mais voudraient ne pas. Toujours cette fameuse histoire de disparition. Dissolution de l'être dans le monde.

Chronique d'un amour
est l'occasion de nombreuses émotions esthétiques - notamment ce plan où Lucia Bosé, après l'arrivée de la police, s'enfuit de chez elle et passe une immense grille; ce plan aussi où elle s'effondre sur son lit pour pleurer; ce plan de haut sur les voitures au départ, après l'opéra.
Antonioni dessine en creux, dans la chronique de cette relation très exclusive, pas très ouverte sur le monde (au contraire de
La Notte, plus fellinienne), le portrait de l'Italie bourgeoise des années 50. Cet amour en est une sorte d'emblême.